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PROPOS SUR LE BONHEUR

croire un peu. Aussi la fiu des oracles, qui marque la révolution chrétienne, n’est-elle pas un petit événement.

Thaïes, Bias, Démocrite et les autres vieillards fameux des temps anciens avaient sans doute une tension artérielle peu satisfaisante dans le temps où ils commençaient à perdre leurs cheveux ; mais ils n’en savaient rien ; ce n’était pas un petit avantage. Les solitaires de la Thébaïde se trouvaient encore mieux placés ; comme ils espéraient la mort au lieu de la craindre, ils vivaient très longtemps. Si l’on étudiait physiologiquement et de très près l’inquiétude et la crainte, on verrait que ce sont des maladies qui s’ajoutent aux autres et en précipitent le cours, en sorte que celui qui sait qu’il est malade, et qui le sait d’avance d’après l’oracle médecin, se trouve deux fois malade. Je vois bien que la crainte nous conduit à combattre la maladie par le régime et les remèdes ; mais quel régime et quels remèdes nous guériront de craindre ?

Le vertige qui nous prend sur les hauteurs est une maladie véritable, qui vient de ce que nous mimons la chute et les mouvements désespérés d’un homme qui tombe. Ce mal est tout d’imagination. La colique du candidat de même ; ainsi la crainte de répondre mal agit aussi énergiquement que l’huile de ricin. Mesurez d’après cela les effets d’une crainte continuelle. Mais pour se rendre prudent à l’égard de la prudence, il faut arriver à considérer ceci, que les mouvements de la crainte vont naturellement à aggraver le mal. Celui qui craint de ne pas dormir est mal disposé pour dormir, et celui qui craint son estomac est mal disposé pour digérer. Il faudrait