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BONHEUR EST VERTU

le bonheur, et cela n’est pas difficile à dire ; les autres enseignant que le commun bonheur est la vraie source du bonheur propre, ce qui est sans doute l’opinion la plus creuse de toutes, car il n’y a point d’occupation plus vaine que de verser du bonheur dans les gens autour comme dans des outres percées ; j’ai observé que ceux qui s’ennuient d’eux-mêmes, on ne peut point les amuser ; et au contraire, à ceux qui ne mendient point, c’est à ceux-là que l’on peut donner quelque chose, par exemple la musique à celui qui s’est fait musicien. Bref il ne sert point de semer dans le sable ; et je crois avoir compris, en y pensant assez, la célèbre parabole du semeur, qui juge incapables de recevoir ceux qui manquent de tout. Qui est puissant et heureux par soi sera donc heureux et puissant par les autres encore en plus. Oui, les heureux feront na beau commerce et un bel échange ; mais encore faut-il qu’ils aient en eux du bonheur, pour le donner. Et l’homme résolu doit regarder une bonne fois de ce côté-là ce qui le détourne d’une certaine manière d’aimer qui ne sert point.

M’est avis, donc, que le bonheur intime et propre n’est point contraire à la vertu, mais plutôt est par lui-même vertu, comme ce beau mot de vertu nous en avertit, qui veut dire puissance. Car le plus heureux au sens plein est bien clairement celui qui jettera le mieux par-dessus bord l’autre bonheur, comme on jette un vêtement. Mais sa vraie richesse il ne la jette point, il ne le peut ; non pas même le fantassin qui attaque ou l’aviateur qui tombe ; leur intime bonheur est aussi bien chevillé à eux-mêmes que leur propre vie ; ils combattent de leur bonheur