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LXXXVIII

POÈTES

C’est une belle amitié que celle de Gœthe et de Schiller, que l’on voit dans leurs lettres. Chacun donne à l’autre le seul secours qu’une nature puisse attendre d’une autre, qui est que l’autre la confirme et lui demande seulement de rester soi. C’est peu de prendre les êtres comme ils sont, et il faut toujours en venir là ; mais les vouloir comme ils sont, voilà l’amour vrai. Ces deux hommes donc, chacun poussant au-dehors sa nature exploratrice, ont vu en commun au moins ceci, que les différences sont belles, et que les valeurs s’ordonnent non d’une rose à un cheval, mais d’une rose à une belle rose, et d’un cheval à un beau cheval. On dit bien qu’il ne faut pas disputer des goûts, et cela est vrai si l’un préfère une rose et l’autre un cheval ; mais sur ce qu’est une belle rose ou un beau cheval, on peut disputer parce que l’on peut s’accorder. Toutefois ces exemples sont encore abstraits, quoiqu’ils soient sur le bon chemin, parce que de tels êtres sont encore serfs de l’espèce, ou bien de nous et de nos besoins. Nul ne plaidera pour la musique, ni pour la peinture ; mais on dispute utilement sur le tableau original et