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PROPOS SUR LE BONHEUR

pourrait dire que l’impolitesse est toujours une sorte de menace. La grâce féminine se replie alors et cherche protection. Un homme qui tremble, par sa force mal disciplinée que dira-t-il s’il s’anime et s’emporte ? C’est pourquoi il ne faut point parler fort. Qui voyait Jaurès dans un salon voyait un homme peu soucieux de l’opinion et des usages, et souvent mal cravaté ; mais la voix était toute une politesse, par une douceur chantante où l’oreille ne découvrait aucune force ; chose miraculeuse, car chacun avait souvenir de cette dialectique métallique et de ce rugissement, voix du peuple lion. La force n’est pas contraire à la politesse ; elle l’orne ; c’est puissance sur puissance.

Un homme impoli est encore impoli quand il est seul ; trop de force dans le moindre mouvement. On sent la passion nouée et cette peur de soi qui est timidité. Je me souviens d’avoir entendu un homme timide qui discutait publiquement de grammaire ; son accent était celui de la haine la plus vive. Et, comme les passions se gagnent bien plus vite que les maladies, je ne m’étonne jamais de trouver de la fureur dans les opinions les plus innocentes ; ce n’est souvent qu’une sorte de terreur qui s’accroît par le son même de la voix, et par de vains efforts contre soi-même. Et il se peut que le fanatisme soit d’abord impolitesse ; car ce que l’on exprime, même sans le vouloir, il faut bien qu’à la fin on le ressente. Ainsi le fanatisme serait lui fruit de timidité ; une peur de ne pas bien soutenir ce que l’on croit ; enfin, comme la peur n’est guère supportée, une fureur contre soi et contre tous, qui communique une force redoutable aux opinions les plus incertaines. Obser-