Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LXXXII

LA POLITESSE

La politesse s’apprend comme la danse. Celui qui ne sait pas danser croit que le difficile est de connaître les règles de la danse et d’y conformer ses mouvements ; mais ce n’est que l’extérieur de la chose ; il faut arriver à danser sans raideur, sans trouble, et par conséquent sans peur. De même, c’est peu de chose de connaître les règles de la politesse ; et, même si on s’y conforme, on ne se trouve encore qu’au seuil de la politesse. Il faut que les mouvements soient précis, souples, sans raideur ni tremblement ; car le moindre tremblement se communique. Et qu’est-ce qu’une politesse qui inquiète ?

J’ai remarqué souvent un son de voix qui est par lui-même impoli ; un maître de chant dirait que la gorge est serrée et que les épaules ne sont pas assez assouplies. La démarche même des épaules rend impoli un acte poli. Trop de passion ; assurance cherchée ; force rassemblée. Les maîtres d’armes disent toujours : « Trop de force » ; et l’escrime est une sorte de politesse, qui conduit aisément à toute la politesse. Tout ce qui sent le brutal et l’emporté est impoli ; les signes suffisent ; la menace suffit. On