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LXXV

HYGIÈNE DE L’ESPRIT

Je lisais hier un article sur une certaine espèce de fous à opinions, qui, à force de voir les choses toujours sous le même angle, finissent par se croire persécutés, et sont bientôt dangereux et bons à enfermer. Cette lecture, qui me jetait dans de tristes pensées (quoi de plus triste à considérer qu’un fou ?), me rappela pourtant une bonne réponse que j’avais entendue. Comme on parlait, en présence d’un sage, d’un demi-fou à persécutions qui, par surcroît, avait toujours froid aux pieds, ce sage dit : « Défaut de circulation dans le sang, et de circulation dans les idées. » Le mot est bon à méditer.

Il est sûr que chacun de nous a des pensées de fou autant qu’on voudra, comme rêves ou associations burlesques entre des images. C’est le langage intérieur surtout qui trébuche, et qui, par une faute de prononciation, nous jette souvent à quelque idée absurde. Seulement nous n’y restons pas. Chez l’homme normal, il se fait un continuel changement d’idées, comme dans un vol de moucherons. Et nous oublions tellement toutes nos folies que nous ne serions jamais capables de répondre exactement à