LXXIII
BONNE HUMEUR
Si j’avais, par aventure, à écrire un traité de morale, je mettrais la bonne humeur au premier rang des devoirs. Je ne sais quelle féroce religion nous a enseigné que la tristesse est grande et belle, et que le sage doit méditer sur la mort en creusant sa propre tombe. Comme j’avais dix ans, je visitai la Grande Trappe ; je vis ces tombes qu’ils creusaient un peu tous les jours, et la chapelle mortuaire où les morts restaient une bonne semaine, pour l’édification des vivants. Ces images lugubres et cette odeur cadavérique me poursuivirent longtemps ; mais ils avaient voulu trop prouver. Je ne puis dire au juste, parce que je l’ai oublié, à quel moment et pour quelles raisons je sortis du catholicisme. Mais dès ce moment-là je me dis : « Il n’est pas possible que ce soit là le vrai secret de la vie. » Tout mon être se révoltait contre ces moines pleurards. Et je me délivrai de leur religion comme d’une maladie.
J’ai tout de même l’empreinte. Nous l’avons tous. Nous geignons trop aisément et pour de trop petites causes. Et même, quand les circonstances nous apportent une vraie peine, nous croyons devoir la