LXXII
INJURES
Si un phonographe vous couvrait soudainement d’injures, cela vous ferait rire. Si un homme de mauvaise humeur, mais à peu près sans voix, faisait marcher un phonographe à injures pour contenter sa colère, personne ne croirait que telle injure, blessante par hasard, lui était destinée. Mais quand c’est la face humaine qui lance l’injure, chacun veut croire que tout ce qu’elle dit était prémédité, ou tout au moins est pensé dans l’instant même. Ce qui trompe, c’est l’éloquence des passions et l’espèce de sens qu’offrent presque toujours des paroles produites sans pensée par une bouche humaine.
Descartes a écrit le plus beau de ses ouvrages et trop peu lu, c’est le Traité des Passions, justement pour expliquer comment notre machine, par sa forme et par le pli de l’habitude, arrive aisément à jouer la pensée. Pour nous-mêmes aussi. Car, lorsque nous sommes bien en colère, d’abord nous imaginons mille choses qui s’accordent très bien avec notre fureur physique, et qui, par la vivacité, sont autant de preuves ; et puis nous produisons en même temps des discours souvent pleins d’accent et de vraisem-