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PROPOS SUR LE BONHEUR

les maîtres doivent faire attention. Ses cris lui font mal à lui-même et l’irritent encore plus. Les menaces, les éclats de voix, grossissent encore l’avalanche. C’est la colère même qui entretient la colère. Aussi faut-il alors agir physiquement, par simple massage, ou par changement de perceptions. L’amour maternel fait voir dans ces cas-là sa science presque infaillible, lorsqu’il promène, câline ou berce le poupon. On guérit une crampe par le massage ; or une colère d’un poupon et de n’importe qui, c’est toujours un état de contracture des muscles qu’il faut soigner par gymnastique et musique, comme disaient les anciens. Mais, dans l’accès de colère, les meilleurs arguments sont tout à fait inutiles et souvent nuisibles, parce qu’ils rappellent à l’imagination tout ce qui peut exciter la colère.

Ces remarques aident à comprendre comment la guerre est toujours à craindre et peut toujours être évitée. Toujours à craindre par l’effervescence, qui, si elle s’étend, réalisera la guerre, même pour de très faibles raisons. Toujours évitable, quelles que soient les raisons, si l’effervescence ne s’en mêle point. Or les citoyens doivent considérer ces lois si simples avec attention. Car ils se disent avec accablement : « Que puis-je, moi pauvre, pour pacifier l’Europe ? De nouvelles causes de conflit surgissent à chaque instant. Il s’élève des problèmes insolubles autant qu’il passe de jours ; une solution ici fait une crise ailleurs ; on ne dénoue qu’en nouant, comme dans la ficelle embrouillée. Laissons aller la nécessité. » Oui ; mais la nécessité ne va pas à la guerre, comme mille exemples le font assez voir. Tout s’arrange et se dérange. J’ai vu les côtes de Bretagne