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PROPOS SUR LE BONHEUR

dépend de mes humeurs, de ma fatigue, de mon âge et du temps qu’il fait. » Bon. Dites-vous cela à vous-même, dites-vous sérieusement cela ; renvoyez la tristesse à ses vraies causes ; il me semble que vos lourdes pensées seront chassées par là, comme des nuages par le vent. La terre sera chargée de maux, mais le ciel sera clair ; c’est toujours autant de gagné ; vous aurez renvoyé la tristesse dans le corps ; vos pensées en seront comme nettoyées. Ou disons, si vous voulez, que la pensée donne des ailes à la tristesse et en fait un chagrin planant ; tandis que par ma réflexion, si elle vise bien, je casse les ailes, et je n’ai plus qu’un chagrin rampant. Il est toujours devant mes pieds, mais il n’est plus devant mes yeux. Seulement, voilà le diable, nous voulons toujours un chagrin qui vole bien haut.

31 octobre 1911.