même ne rien pouvoir décider, sans perdre l’appétit ni le sommeil. Ce qui nous blesse, dans des pensées inextricables, ce ne sont pas les pensées inextricables, c’est plutôt une espèce de lutte et de résistance contre cela même, ou, si vous voulez, un désir que les choses ne soient pas comme elles sont. Dans tout mouvement de passion, je crois qu’il y a une résistance contre l’irréparable. Par exemple, si quelqu’un souffre d’aimer une femme sotte, ou vaniteuse, ou froide, c’est qu’il s’obstine à vouloir qu’elle ne soit pas comme elle est. De même, lorsqu’une ruine est inévitable et qu’on le sait bien, la passion veut espérer, et ordonne en quelque sorte à la pensée de refaire encore une fois la même route, afin de trouver quelque bifurcation qui conduise autre part. Mais le chemin est fait ; l’on en est justement où l’on en est ; et, dans les chemins du temps, on ne peut ni retourner en arrière, ni refaire deux fois la même route. Aussi je tiens qu’un caractère fort est celui qui se dit à lui-même où il en est, quels sont les faits, quel est au juste l’irréparable, et qui part de là vers l’avenir. Mais ce n’est pas facile, et il faut s’y exercer dans les petites choses ; sans quoi la passion sera comme le lion en cage, qui pendant des heures piétine devant la grille, comme s’il espérait toujours, quand il est à un bout, qu’il n’a pas bien regardé à l’autre. Bref, cette tristesse qui naît de la contemplation du passé ne sert à rien et est même très nuisible, parce qu’elle nous fait réfléchir vainement et chercher vainement. Spinoza dit que le repentir est une seconde faute.
« Mais, dit l’homme triste, s’il a lu Spinoza, je ne puis toujours pas être gai si je suis triste ; cela