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PROPOS SUR LE BONHEUR

déjà debout et au travail, soulevé par l’exercice de la veille, et jouissant aussitôt de sa propre volonté et puissance. En sorte qu’il n’y a d’agréable que le travail ; mais le paresseux ne sait pas cela et ne peut pas le savoir ; ou bien, s’il le sait par ouï-dire ou par souvenir, il ne peut pas le croire ; c’est pourquoi le calcul des plaisirs trompe toujours, et l’ennui vient. Quand l’animal pensant s’ennuie, la colère n’est pas loin. Toutefois l’ennui d’être serf me paraît moins aigre que l’ennui d’être maître ; car, si monotone que soit l’action, il reste toujours à gouverner et à inventer un peu ; au lieu que celui qui reçoit les plaisirs tout faits est naturellement le plus méchant. Ainsi le riche gouverne par l’humeur et par la tristesse ; la faiblesse du travailleur vient de ce qu’il est plus content qu’il ne voudrait. Il fait le méchant.

30 novembre 1922.