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LE JEU

remède, c’est qu’il y voit remède. La nécessité étalée comme un grand pays, bien au clair, et hors de nous, vaut toujours mieux que cette nécessité repliée que nous sentons au creux de nous.

La passion du jeu fait voir ce besoin d’aventure tout nu, en quelque sorte, sans aucun ornement étranger ; car le joueur n’a jamais de sécurité, et je crois que c’est cela même qui l’intéresse. Aussi le vrai joueur n’aime pas trop ces jeux où l’attention, la prudence, le savoir-faire corrigent beaucoup la chance. Au contraire, un jeu comme la roulette, où il ne fait qu’attendre et risquer, le transporte d’autant plus. Ce sont des catastrophes voulues en un sens ; car il se dit à chaque instant : « Le coup prochain me ruinera peut-être, si je le veux bien. » C’est comme un voyage d’exploration très dangereux, mais avec cette condition que, d’un seul consentement de pensée, on se retrouverait en sûreté chez soi. Mais c’est ce qui explique aussi l’attrait des jeux de hasard ; car rien n’y force, et l’on ne risque que si l’on veut. Cette puissance plaît.

La guerre a sans doute quelque chose du jeu ; c’est l’ennui qui fait la guerre. Et la preuve en est que c’est toujours l’homme qui a le moins de travaux et de soucis qui est le plus guerrier. Si on saisissait bien ces causes, on serait moins touché par les déclamations. L’homme riche et oisif paraît bien fort lorsqu’il dit : ce La vie est facile pour moi ; si je m’expose à tant de périls, si j’appelle de tout mon cœur ces risques effrayants, il faut donc que j’y voie quelque raison invincible ou quelque nécessité inévitable. » Mais non. Ce n’est qu’un homme qui s’ennuie. Et il s’ennuierait moins s’il travaillait