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PROPOS SUR LE BONHEUR

comme un gymnaste. Cette idée que la mauvaise humeur, la tristesse, l’ennui, sont des faits comme la pluie ou le vent, est en effet la première idée, et fausse. Et, bref, la vraie politesse consiste à éprouver ce que l’on doit. On s’oblige bien au respect, à la discrétion, à la justice. Ce dernier exemple est bon à considérer ; un retour vif à la justice, malgré le premier mouvement des passions, n’est certes pas d’un voleur ; mais bien plutôt c’est la probité elle-même, sans aucune hypocrisie. Pourquoi veut-on qu’il n’en soit pas autant de l’amour ? L’amour n’est pas naturel ; et le désir lui-même ne l’est pas longtemps. Mais les sentiments vrais sont des œuvres. On ne joue pas aux cartes pour les jeter au premier mouvement d’impatience ou d’ennui ; et personne n’a jamais eu l’idée de jouer au hasard sur un piano. La musique est même de tous les exemples le meilleur ; car elle ne se soutient, même dans le chant, que par volonté, et la grâce vient ensuite, comme ont dit quelquefois les théologiens, mais sans bien savoir de quoi ils parlaient.

10 septembre 1913.