pense ; mais voilà le piège des passions. Dans notre vie immédiate, tout ce qui se présente est faux. J’ouvre les yeux au réveil, tout ce que je vois est faux ; mon travail est de juger, d’estimer, et de renvoyer les choses à leur distance. N’importe quelle première vue est un songe d’un instant et les songes sont sans doute de courts réveils sans jugement. Eh bien, pourquoi voulez-vous que je juge mieux de mes sentiments immédiats ?
Hegel dit que l’âme immédiate, ou naturelle, est toujours enveloppée de mélancolie et comme accablée. Cela m’a paru d’une belle profondeur. Lorsque la réflexion sur soi ne redresse pas, c’est un mauvais jeu. Et qui s’interroge se répond toujours mal. La pensée qui se contemple seulement n’est qu’ennui, ou tristesse, ou inquiétude, ou impatience. Essayez. Demandez-vous à vous-même : « Que lirais-je bien pour passer le temps ? » Vous bâillez déjà. Il faut s’y mettre. Le désir retombe s’il ne s’achève en volonté. Et ces remarques suffisent pour juger les psychologues, qui voudraient que chacun étudie curieusement ses propres pensées, comme on fait des herbes ou des coquillages. Mais penser c’est vouloir.
Or, ce qui se fait si bien dans la vie publique, commerce, industrie, où chacun se gouverne et se redresse à chaque instant, ne réussit pas de même dans la vie privée. Chacun se couche sur ses affections. Bon pour dormir ; mais dans le demi-sommeil de la famille, tout est facilement aigre. Par quoi les meilleurs sont souvent conduits à une hypocrisie effrayante. Chose à remarquer, on emploie une espèce de volonté à cacher des sentiments, au lieu de les changer par volonté, en se mouvant tout,