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XXXIII

EN FAMILLE

Il y a deux espèces d’hommes, ceux qui s’habituent au bruit et ceux qui essaient de faire taire les autres. J’en ai connu beaucoup qui, lorsqu’ils travaillent ou lorsqu’ils attendent le sommeil, entrent en fureur pour une voix qui murmure ou pour une chaise un peu vivement remuée ; j’en ai connu d’autres qui s’interdisent absolument de régler les actions d’autrui ; ils aimeraient mieux perdre une précieuse idée ou deux heures de sommeil que d’arrêter les conversations, les rires et les chants du voisin.

Ces deux espèces de gens fuient leurs contraires et cherchent leurs semblables par le monde. C’est pourquoi on rencontre des familles qui diffèrent beaucoup les unes des autres par les règles et les maximes de la vie en commun.

Il y a des familles où il est tacitement convenu que ce qui déplaît à l’un est interdit à tous les autres. L’un est gêné par le parfum des fleurs, l’autre par les éclats de voix ; l’un exige le silence du soir et l’autre le silence du matin. Celui-ci ne veut pas qu’on touche à la religion ; celui-là grince des dents dès que l’on parle politique. Tous se