boire l’eau du fleuve Léthé, ce qui veut dire le fleuve Oubli, et partent de nouveau pour la terre des hommes, afin de vivre selon leur choix.
Voilà une singulière épreuve et une étrange punition, qui est pourtant plus redoutable qu’elle n’en a l’air. Car il se trouve peu d’hommes qui réfléchissent sur les véritables causes du bonheur et du malheur. Ceux-là remontent jusqu’à la source, c’est-à-dire jusqu’aux désirs tyranniques qui mettent la raison en échec. Ceux-là se défient des richesses, parce qu’elles rendent sensible aux flatteries et sourd aux malheureux ; ils se défient de la puissance, parce qu’elle rend injustes, plus ou moins, tous ceux qui en ont ; ils se défient des plaisirs, parce qu’ils obscurcissent et éteignent enfin la lumière de l’intelligence. Ces sages-là vont donc retourner prudemment plus d’un sac de belle apparence, toujours soucieux de ne point perdre leur équilibre et de ne point risquer, dans une brillante destinée, le peu de sens droit qu’ils ont conquis et conservé avec tant de peine. Ceux-là emporteront sur leur dos quelque destinée obscure dont personne ne voudrait.
Mais les autres, qui ont galopé toute leur vie après leur désir, se régalant de ce qui leur semblait bon, sans regarder plus loin que l’écuelle, ceux-là que voulez-vous qu’ils choisissent, sinon encore plus d’aveuglement, encore plus d’ignorance, encore plus de mensonge et d’injustice ? Et ainsi ils se punissent eux-mêmes, plus durement qu’aucun juge ne les punirait. Ce millionnaire est maintenant dans la grande prairie, peut-être. Et que va-t-il choisir ? Mais laissons les métaphores ; Platon est toujours bien plus près de nous que nous ne croyons. Je n’ai