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LES PROPOS D’ALAIN

disait que l’agent si conciliant et si poli sera sans vigueur si on veut lui tirer la moustache. Pour moi, c’est toujours de l’homme le plus calme que j’attends le coup le plus dur ; et je n’ai point connu de tireurs de fleuret plus rapides que ces grands flegmatiques si équilibrés dans leur garde. Car le propre de la colère, si elle précède l’action, c’est de la troubler. Et de se dire pendant quarante ans « Raison ! Raison ! » cela n’enlève pas une goutte de sang aux veines. On le voit déjà assez.

CXXXVI

Le jugement en nous est comme la cime de l’arbre, que le moindre vent déplace. Et une erreur énorme, et de grandes conséquences, est de croire que nous avons besoin, pour charger ou tenir bon, quel que soit le poste, d’éveiller l’orgueil ou la fureur. Que le Polytechnicien qui mène cette guerre de toutes façons, par le plan, par le fort, par l’artillerie, nous soit toujours présent à l’esprit, tout à fait semblable à l’ingénieur dans une mine en feu. L’idée du nécessaire et de l’utile occupe entièrement cette tête bien faite, et le reste du corps n’est que pour porter cette tête où il faut qu’elle soit. Il serait ridicule de penser qu’on ne peut frapper dur sans haïr. Et, pour ceux qui restent loin de l’action, c’est encore une consolation médiocre que de se livrer à une colère présentement sans objet. L’espoir d’une belle paix pour les enfants vaut mieux. Physiquement considérée, toute passion triste, haine, colère, désespoir, use et affaiblit, par convulsion. Que chacun cherche en lui-même, si difficile que ce soit, les sources communes de la joie et de la santé ; c’est le devoir strict.

Par les mêmes raisons, il n’est pas bon que chacun laisse s’organiser en lui une espèce de tyrannie passionnée ; car l’état ressemble toujours aux citoyens. L’idée de conquérir, de reprendre, de dominer sera toujours assez forte. Et, pour ceux qui l’ont toujours eue, qu’ils la gardent donc, c’est une force comme une autre, et toute force sera utilisée. Mais, pour ceux qui ne peuvent accepter cette guerre que comme moyen contre la guerre, qu’ils ne perdent pas un instant cette vue droite ; qu’ils ne donnent pas le pouvoir un seul instant en eux-mêmes à quelque passion qui prendrait figure de revanche et de