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LES PROPOS D’ALAIN

qu’il se retient lui-même. Et parmi les races humaines, c’est la race qui se contient et se retient le mieux, c’est celle-là qui règne sur les animaux et sur les hommes, par patience, industrie, sagesse, par force d’âme enfin.

Tout cela est assez connu. Ceux qui se laissent aller à l’Impulsion et à la convulsion n’en sont jamais bien fiers. Ces déformations sont méprisées immédiatement ; elles sont laides. Mais chacun aime les nobles statues, parce qu’elles représentent un bon gouvernement de soi.

Il faut juger de Léviathan d’après les mêmes principes. Car ce grand corps serait aisément animal et convulsionnaire. Panique, fureur de foule, fièvre guerrière, aveugle enthousiasme, délire religieux le font bien voir. Ce sont les passions du grand animal, dès qu’une mouche le pique. Et l’individu qui y participe se croit aisément porté par une force supérieure, et même divine. Ceux qui sont plus sensibles, et qui traduisent plus vivement ces convulsions du Léviathan, ont été longtemps adorés, sibylles, devins, prédicateurs, orateurs. En somme, les nations sont aisément barbares, et les civilisés se livrent trop ingénument à ces mouvements déréglés. Quand les gouvernants exigent de nous un patriotisme sans conditions, ils nous demandent de nous laisser conduire par ces mouvements religieux ; et cela se comprend, parce que cette adoration va naturellement droit aux chefs, et les enivre. Mais il se trouve un nombre croissant d’hommes sages et sobres, ou tout au moins qui s’efforcent d’être l’un et l’autre, et qui voudraient que leur patrie soit juste, raisonnable, humaine enfin ; c’est-à-dire qu’elle soit gouvernée, par l’effort de tous, comme chacun de nous essaie de se gouverner lui-même.

CXX

Il faudra que nous arrivions, mes amis, à ne plus tout pardonner aux Violents. On croit dire quelque chose en disant qu’ils sont sincères et qu’ils paient de leur personne ; c’est dire qu’ils sont violents tout simplement. Celui qui se met en colère paie toujours de sa personne ; le fou est encore celui qui paie le mieux ; rien ne l’arrête, et je dirai à sa louange qu’il ne tient pas plus de compte de sa propre