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LES PROPOS D’ALAIN

des astres brillants, soleils de la politique, autour desquels tout gravitait. Le petit père était seul, comme un réprouvé. Je répondis là-dessus : « Il est pourtant le maître. » Je dirais maintenant, après avoir un peu plus réfléchi là-dessus : « C’est pour cela qu’il est le maître. »

Oui. Il nous faut un homme qui ne soit point empêtré dans les fils d’or. Et nous serons de plus en plus exigeants là-dessus. Les jeunes devraient le comprendre, et se défier des salons. Mais point du tout. Ils papillonnent ; ils se livrent aux plaisirs de cour ; ils s’éloignent du peuple ; ils dépouillent leur rustique simplicité pour la reprendre seulement quand ils retournent au pays ; et cela ne trompe personne. Ce sont de pauvres ambitieux qui poursuivent l’ombre de la puissance et laissent aller la vraie puissance.

Je voudrais pourtant le voir grandir, le vrai démocrate, celui qui vivrait avec dix mille francs, qui serait vêtu comme un commis, et qui prendrait l’omnibus. Qui promènerait son veston râpé des Postes au Commerce, de l’Instruction Publique aux Finances, portant sa probité sur lui. Je le vois donnant cinquante mille francs de son traitement ministériel aux pauvres, ignorant les autos, les actrices et les petits soupers ; redouté de ses collègues, célèbre et aimé partout. Plus tard président, vêtu comme vous et moi, et recevant les rois sans cérémonie. Voilà un programme qui devrait plaire à un vrai ambitieux. La richesse serait remise à son rang ; et ce serait déjà presque toute la justice.

CXIII

Ce n’est déjà pas si facile, de trouver un député comme on en voudrait. Je sais que la graine d’ambitieux n’est pas rare, et qu’on ne manquera jamais de ces blancs-becs qui préparent leur carrière politique comme ils ont préparé leur baccalauréat. Mais je pense à un homme éprouvé, qui s’est préparé à la politique en vivant humainement sa vie, c’est-à-dire achetant, vendant, se battant contre les choses, maniant les hommes, et pesant toutes les valeurs. Si un tel homme n’y perd point ses ailes, j’entends ses idées, c’est qu’elles étaient bien attachées ; et ceux qui l’ont vu à l’œuvre connaissent