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LES PROPOS D’ALAIN

ment inutiles, comme courses en automobiles, voyages en train rapide, croisières en bateau, chasses, courses au clocher et autres ruineuses fariboles.

Naturellement nous supprimons presque tout le luxe, et d’abord, ce qui ne sert qu’à humilier le voisin, comme plumes, dentelles, diamants, bijoux. Que de journées de travail dévorées par la parure, et dont le travailleur ne profite point !

Les ci-devant riches ayant moins de temps à perdre et n’ayant plus d’argent à jeter, nous gagnons pas mal de journées aussi sur les couleurs, les toiles à tableaux, les plumes, l’encre et l’imprimerie. Peu de gens peindront, dessineront, et écriront, lorsqu’il ne s’agira plus de gagner de l’argent. D’ailleurs le génie produira, c’est inévitable, comme les oiseaux chantent.

« Oui, mais, dit le socialiste, n’oublions pas toute cette industrie des armes, tous ces travaux stériles qui n’ont pour objet que de tuer. Nous gagnons bien, par ce moyen, encore une heure de travail sur dix. »

Ne comptons point là-dessus, lui répondis-je. Notre République collectiviste sera d’abord assez petite, et elle ne manquera pas d’ennemis. La Justice ne manque jamais d’ennemis. Plus d’un ci-devant riche émigrera, comme firent autrefois les nobles ; et il se fera bien une Sainte-Alliance contre notre Coopérative. N’en doutez point, il faudra se battre, ou tout au moins montrer les dents ; et nos dents ce seront canons, forteresses, baïonnettes, vaisseaux de guerre. Au reste, chacun de nous combattant pour l’égalité, nous les battrons, et nous les convertirons. Mais ne désarmons pas la Justice.

XCII

L’ouvrier parla : « Je viens encore d’entendre, dit-il, des discours sur la grève générale et le chambardement. Ces discours me semblent stupides, et je veux vous dire pourquoi. » Ici il y eut un peu de tapage, et quelques injures ; mais il n’y prit point garde.

« Vous me connaissez, dit-il ; vous savez bien que je ne suis point jaune du tout, ni catholique, ni silloniste ; je vous dis cela, non pas pour faire entendre que je méprise tous ceux-là, mais simplement parce que je ne pense pas comme eux. Lors de la dernière grève de