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LES PROPOS D’ALAIN

la rencontre n’est peut-être pas au même moment pour les deux boules. Les Académies ouvriront de grands yeux là-dessus. Mais ce n’est pourtant qu’une manière de dire, et une muscade qui passe dans leurs discours, sans qu’on la voie.

XXXIII

« Tout s’écroule, dit l’un ; tout périra ; oui, toutes les différences s’effaceront. Cette horloge, qui vient de sonner minuit, va à son repos ; les poids descendront le plus bas qu’ils pourront ; et ils ne seront remontés que par quelque autre poids plus lourd, qui descendra aussi, et autant qu’il pourra. Vous-même, qui la remontez, vous ne le pouvez faire qu’en ramenant au niveau le plus bas des aliments, horloges remontées elles-mêmes par quelque autre chute ; et les végétaux, qui sont l’aliment de tout animal en définitive, sont eux-mêmes remontés par la grande cascade solaire ; selon la vraisemblance, le soleil n’est pas autre chose qu’une chute de matière vers l’équilibre ; comme le poids de l’horloge descend, ainsi une matière subtile tombe sur le soleil, s’échauffe par le choc, et disperse cette énergie qui était mouvement en ondes de chaleur à travers les espaces. Tout finit par là. De la chaleur se dégage, et s’écoule du plus chaud au plus froid. Les changements chimiques se font tous sous cette loi ; comme le poids descend vers son repos, ainsi les équilibres chimiques dégringolent toujours au plus bas ; l’explosif fait explosion à la fin, et n’est plus que terre inoffensive ; le combustible brûle à la fin ; on peut dire que tout brûle, en ce sens que les combinaisons qui se font, sont toujours celles qui dégagent le plus de chaleur. Et, pour remonter un corps, par exemple pour fabriquer de la nitroglycérine, il faut toujours utiliser quelque autre chute, avec dégagement de chaleur ; il faut de petites explosions pour en préparer une grande, et toujours avec dégagement de chaleur, c’est-à-dire égalisation pour le total, et effacement des différences, puisque toujours le plus chaud échauffe le plus froid jusqu’à l’équilibre. J’annonce la fin de tous les mondes, par usure de tout mouvement et égalisation de toutes les températures ».

« Jérémie, dit l’autre, prophète Jérémie, il n’est pas possible que