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LES PROPOS D’ALAIN

Figaro quand il croit que sa Suzon est volage et que son mariage est rompu.

Cette vieille idée a été longue à détruire. Elle n’est détruite que pour un petit nombre d’hommes. Que dis-je là ? Elle est impossible à détruire tout à fait. Qui songe que cette chaleur du soleil, qui chauffe ici les grillons, suppose quelque dépense autre part, quelque refroidissement et usure du soleil ? Nous savons pourtant bien qu’un morceau de charbon ne nous chauffe pas deux fois, et qu’une brassée de bois fait toujours bouillir à peu près la même quantité d’eau. Mais que d’exceptions et de caprices aussi ! Il y a de bonnes années, et des multiplications de pains.

Il a fallu des siècles pour voir tout en ordre. Il a fallu, comme Rumford, mesurer l’eau qu’on peut faire bouillir en forant un canon ; mesurer aussi l’effort, et le travail ; constater enfin mille fois, en écartant toute cause étrangère, que le même travail, évalué en kilogrammes et mètres, transforme toujours en eau la même quantité de glace, en vapeur la même quantité d’eau. La poudre à canon n’est plus un démon dans une boîte, mais des choses qui brûlent très vite, et qui, en échauffant des gaz, produisent un certain travail qui met le boulet en marche, toujours selon la même loi d’équivalence. On peut invoquer ici des milliers d’expériences concordantes. D’où l’idée que, dans toutes ces transformations, il y a quelque chose qu’on appelle l’énergie, et qui ne peut se produire ici sans s’user là. D’où une sagesse nouvelle, qui est familière à quelques profonds savants, mais qui n’est encore qu’à la surface des esprits ordinaires.

Je pensais à ces choses en voyant qu’on louait un ouvrage déjà réédité, où cette loi fondamentale est, dit-on, ruinée par quelques caprices du radium. Beau miracle. L’apparence est neuf fois sur dix contre ces lois-là. Le premier chien qui court a bien l’air de créer de l’énergie. Beaucoup de gens, qui ont pourtant étudié, en sont encore à parler d’une force vitale qui serait sans règles ; peu d’hommes retrouvent dans les mouvements de la vie l’équivalent de l’énergie absorbée dans les aliments. Un fou m’étonnera, par la force prodigieuse qu’il montre. Et pourtant, je crois bien que je le rangerais sous mon équation en m’y prenant bien. Ainsi ferai-je pour le radium, dès qu’il sera un peu moins cher. Mais il y a des charlatans qui ne veulent qu’étonner ; et le vieux fond de notre cœur voudrait applaudir ; mais, pour moi, je ne veux plus voir de miracles. Deux physiciens du dernier bateau disaient devant moi : Quand une boule en rencontre une autre,