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LES PROPOS D’ALAIN

un peu plus lentement et si dix siècles valaient une seconde. Nos passions changent comme des reflets sur l’eau, et nos désirs dévorent le temps à venir. Mais si nous regardons de nouveau les étoiles, les temps sont soudain abolis, nous voyons l’ordre et l’éternité.

Platon en fut tellement saisi, qu’il enseigna que les dieux nous avaient donné les étoiles pour modèles, afin que nous missions, malgré les choses qui s’écoulent, l’ordre et le repos dans nos idées. S’il parlait en poète, et s’il croyait au fond que c’est nous-mêmes qui sommes des dieux d’un instant, c’est ce qu’on ne peut pas savoir, car il avait l’art de sourire pour les nourrices et les petits enfants pendant qu’il parlait à des hommes. Toujours est-il qu’il exprimait là une grande et profonde idée ; car ce sont certainement les mouvements du ciel qui donnèrent aux hommes la première notion d’un ordre à chercher dans les choses, d’où toute leur puissance et toute leur justice est sortie, tombant ainsi réellement du ciel, mais tout autrement que les prêtres ne le disent.

C’est pourquoi, aujourd’hui encore, c’est au vrai ciel des étoiles qu’il faut suspendre une vie humaine ; sans quoi les caprices des hommes et les cris des enfants nous étourdiraient. Là est le modèle de toute science humaine, et de toute machine humaine, et de toute sagesse humaine. Là regarde le législateur des cités, et le législateur de lui-même, et le poète, et la vieille bonne femme aussi ; tous cherchent la même chose ; les uns quelque Dieu arbitre, les autres quelque Loi, tous le sceptre humain et la couronne humaine, chacun comme il la voudrait. Les uns regardant les images, et les autres lisant.

XXX

Chacun a pu voir, ces jours-ci, la lune à son premier quartier voisiner avec Jupiter, d’abord à droite de cette planète, puis à gauche, et descendant le long du Zodiaque, qui est la route du soleil, des planètes et de la lune. Dans les deux précédentes lunaisons on a pu observer à peu près la même course, et comment la lune va de son croissant à son plein, en même temps qu’elle dérive de Vénus à Jupiter et au delà. Ces phénomènes si aisément visibles, et naturellement si émouvants, devraient servir de texte aux premières leçons sur la nature.