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LES PROPOS D’ALAIN

nos voisins, rendus aveugles par la contagion des passions, franchissaient en armes nos frontières, qu’ils le sachent bien, nous n’irons pas, par une défense précipitée, imiter à notre tour leurs passions et nous rendre fous pour nous défendre contre leur folie. Non. Nous écrivons dans nos lois, à partir de ce jour, que nul n’a le droit en France de répondre à un acte de guerre par un acte de guerre avant qu’il se soit écoulé un délai de huit jours. La France se sait assez forte pour laisser à l’ennemi, quel qu’il soit, cet avantage. » C’est en ces termes, ou à peu près, que la Paix serait déclarée au monde. Quelques politiques riraient de nous ; mais les peuples comprendraient.

CLII

Que la formation militaire soit belle par elle-même, et que l’armée doive être mise par l’admiration commune bien au-dessus de tous les partis et de toute la politique, c’est vrai, absolument vrai. L’exercice militaire consiste proprement dans un effort méthodique de la volonté contre les forces animales. D’autres apprentissages visent une fin extérieure ; par exemple ferrer un cheval ou régler un moteur, ou faire une voûte en ciment ; mais l’apprentissage militaire n’a d’autre fin que de mettre un homme ou une troupe d’hommes en pleine possession de toutes ses forces. Cela suppose une gymnastique individuelle, par laquelle les muscles sont disciplinés, pour la marche, la course, le saut ; cela suppose aussi une gymnastique collective, qui lie tous les mouvements des hommes les uns aux autres de manière à assurer la coopération prompte et efficace. Et cette éducation est par elle-même absolument bonne, car elle tend à guérir tout homme de la maladresse, de la gaucherie, de l’hésitation, de la peur ; et il n’est pas d’homme qui ne veuille être courageux, fort, souple, adroit, maître de ses forces pour tout dire.

Quel emploi fera-t-on de ces forces organisées et disciplinées ? D’après sa mission, le militaire n’a pas à s’en occuper. Il est prêt pour toute action concertée, pour toute défense, pour tout secours. Le pouvoir civil en décidera. La force militaire est apte à éteindre le feu, à sauver des inondés, à contenir la foule, à faire cesser les rixes, à réprimer tout brigandage. Mais ce qui la caractérise, ce n’est pas