Page:Alain - Propos, tome 1, 1920.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES PROPOS D’ALAIN

première. Car le petit gribouilleur, qui dessinait des soldats et des locomotives, ne reconnaît plus le dessin académique ; et le petit chimiste, qui faisait couler l’eau et jouait avec le feu, ne fait que bâiller aux leçons de chimie. Assurément cela n’arriverait pas si le maître, au lieu d’enseigner son propre dessin ou sa propre chimie, se plaçait au point de vue de l’enfant, partait des idées confuses qui se battent dans cette petite tête, et y mettait l’ordre peu à peu, redressant au lieu de remplacer. »

Ce discours m’a fait penser. C’est pourquoi je n’ai pas trouvé ridicule une exposition de dessins d’enfants que l’on m’a montrée l’autre jour. On les laisse libre de représenter à leur guise une scène de la vie ordinaire ; et cela n’est pas beau. Mais les idées naïves de l’enfant s’y découvrent ; le maître ne déclamera plus à côté. Pour peu que tous les professeurs imitent les maîtres de dessin, et veuillent bien partir, en toute chose, des erreurs de leurs élèves, nous aurons peut-être un enseignement. Car les idées vraies ne se versent point dans les esprits comme l’eau dans les cruches ; et il faut que mes vérités soient des erreurs redressées. Sans quoi elles ne seront pas plus réellement miennes que mon chapeau ou mon pardessus.

LXXXIV

Maître Aliboron ; c’est ainsi que l’élégant Barrès appelle l’instituteur. C’est bientôt dit. Encore faut-il rechercher ce que Barrès entend par là. Il ne veut point dire, assurément, que l’instituteur soit incapable d’apprendre à lire aux gosses, ni qu’il ignore l’arithmétique ou le système des poids et mesures. Là-dessus, il n’y a pas à disputer. Cet enseignement est très difficile à donner comme il faut ; les instituteurs de notre pays y réfléchissent depuis trente ans, tâtonnent, s’adaptent à la nature des élèves et aux habitudes du pays ; la fameuse « Correspondance générale de l’Enseignement primaire » le prouve assez ; et il y a vingt Revues de pédagogie qui valent bien celle-là. Qu’on trouve encore à critiquer, c’est inévitable ; les notions les plus simples sont très difficiles à présenter. Je donne à l’académicien Barrès un mois pour préparer une leçon sur la mesure des volumes ; il la manquera, et on lui mettra le bonnet d’âne.