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LES PROPOS D’ALAIN

Sans le pousser trop loin de ce côté-là, je reviens au coin d’abord, qui est plus ou moins difficile à pousser selon que la pente est plus ou moins rapide ; et au couteau, qui n’est qu’une espèce de coin, employé pour séparer les parties du bois, et un coin à pente douce. D’où nous viendrons aussi à parler du clou, qui est une espèce de coin aussi, la pointe n’étant qu’une pente de tous les côtés. Cette analogie n’est pas seulement bonne à considérer pour les enfants, et nous touchons ici aux plus funestes erreurs de l’esprit grossier, j’entends qui n’analyse point. Car, quand il a dit en riant que si le clou entre dans le bois c’est qu’il est plus dur que le bois, il se croit très fort ; mais il n’en est pourtant qu’à la « vertu dormitive » dont beaucoup se moquent, dont peu se gardent autant qu’il faudrait.

LXXX

On voit maintenant Vénus le soir au couchant. Il n’est pas d’enfant qui ne remarque cette brillante étoile qui l’emporte sur Sirius que l’on voit à la même heure à peu près au midi, à gauche et au-dessous d’Orion. Voilà de quoi exercer une intelligence qui s’éveille. Sirius voyage en même temps que toutes les autres étoiles ; tous les ans à la même saison nous le voyons suivre Orion, qui suit les Pléiades, et toutes, d’un même mouvement, rattrapent peu à peu le Soleil. À neuf heures du soir en janvier Sirius est encore près de son lever ; en mars, à la même heure, il descend déjà vers l’ouest ; en mai, à la même heure, il est au-dessous de l’horizon occidental. Ces retours, qui coïncident avec les mêmes saisons, définissent l’année.

Mais Vénus est un astre plus capricieux. L’an dernier, à cette époque, on ne la voyait pas au couchant ; en revanche on voyait une autre étoile, aussi brillante, à l’est, avant le lever du soleil ; je dis une autre étoile, parce que les peuples anciens ont cru assez longtemps que l’étoile du matin et l’étoile du soir étaient deux astres différents. Et l’enfant devrait d’abord observer les apparences, et rester quelque temps dans le même doute. Quand il aurait remarqué que ces deux étoiles ne se montrent jamais au ciel dans la même saison, quand vous auriez confirmé ses observations, par celles que l’on a pu faire depuis tant d’années, quand il saurait que l’astre du matin s’éloigne d’abord