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LES PROPOS D’ALAIN

Ensuite ils apprendraient à comparer des longueurs. Pour les surfaces, tantôt ils les superposeraient tant bien que mal en les découpant ; tantôt ils les diviseraient en petits carrés égaux, et ils compteraient les carrés. Pour les volumes, ce serait plus simple : ils verseraient de l’eau d’un cube dans un cylindre, d’un cylindre dans une demi-sphère, et ils auraient ainsi l’occasion de faire de belles remarques. Après quoi ils réuniraient ces remarques en lois qu’ils vérifieraient de nouveau. Et enfin, ils rattacheraient élégamment ces lois les unes aux autres, s’ils en étaient capables.

Car c’est ainsi qu’on apprend la physique. Et qu’est-ce donc que la géométrie, sinon la physique des surfaces et des volumes ?

LXXVIII

Tous les petits garçons regardent avidement les locomotives. Tous remarquent le piston et la bielle ; tous essaient de se figurer la puissance motrice des roues. Parmi tous les faits humains, ils vont chercher tout de suite un des plus importants et le plus facile de tous à comprendre, la machine.

Quand j’étais petit, et que j’étais maître de choisir mes promenades, j’allais voir passer les trains. La première chose que je compris, ce fut le mécanisme de l’aiguillage. Entre temps, j’allais au collège, où l’on m’apprenait du latin et du grec ; et comme j’avais une bonne mémoire, je passais pour intelligent ; en réalité mon intelligence ne s’exerçait qu’en dehors du collège, et toujours sur les mécaniques. Chacun a des souvenirs de ce genre à rappeler.

Un tel fait devrait éclairer les pédagogues. Que l’on commence par apprendre aux enfants à lire et à écrire, qu’on les exerce aussi à compter, ce qui n’est toujours que lire et écrire des nombres, il le faut bien ; mais, si l’on veut ajouter à cela quelque connaissance positive qui décrasse les intelligences, il faut que les instituteurs démontent et remontent des machines, qu’ils fassent dessiner des machines, ajuster, fabriquer des machines ; toutes nos idées claires viennent de là.

Les leçons de choses écrasent l’esprit au lieu de l’éclairer. Je fais l’histoire du blé ; je décris le chien ou le canard : ce ne sont que des