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se tiennent rarement à leur poste d’homme. Les uns se réfugient aux idées pures et au monastère d’esprit ; les autres trop tôt reviennent à l’action comme dans un rêve où le vrai n’est plus que souvenir. Je veux maintenant conter une histoire vraie. Il n’y a pas quarante ans, les matelots de Groix savaient bien aller à la Rochelle. Par quelle rencontre avaient-ils su l’angle de route qu’il fallait suivre ? Toujours est-il qu’ils avaient cette opinion vraie. Et, une fois rendus à La Rochelle, ils suivaient les autres pêcheurs jusqu’à un banc connu et fameux. Mais aucun d’eux n’eut jamais l’idée qu’un autre angle de route devait les mener tout droit sur le lieu de la pêche. Là-dessus, on institue une école de pêche, et l’on enseigne aux petits garçons, par géométrie empirique, par reflets des idées, l’art de trouver la route sur la carte et de faire le point. Aux vacances, tous ces mousses allèrent à la pêche avec leurs pères, et firent l’essai de leurs talents. Les résultats parurent si merveilleux que plus d’un père voulut garder son fils avec lui, comme un savant pilote, et