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dit Platon, et ce sont ses propres termes, ce n’est point que tu prennes le bien d’autrui, c’est que tu ne puisses le prendre sans renverser en toi-même l’ordre du supérieur et de l’inférieur. Ici résonne déjà la parole évangélique : « Celui qui désire la femme de son prochain est par cela même adultère. » Mais Platon, non moins fort, est plus subtil, plus cruel, devrait-on dire, à nos paresseuses satisfactions. Car même une action juste, évidemment juste, tu ne peux la faire juste si tu n’es intérieurement juste. Il n’y a point de morale plus forte ; et c’est la morale de tout le monde. Car qui admire un homme probe, s’il soupçonne que c’est un composé d’avidité et de lâcheté qui le fait probe ? Et le témoin vrai qui n’est vrai que par peur du juge, qui l’admire ? Et le soldat qui attaque bien malgré lui, et qui ne cesse de fuir en dedans de lui-même, qui l’admirerait ? Mal placé ainsi, il est vrai, pour juger les autres, mais très bien placé, au contraire pour te juger toi.

Nous sommes emportés par le mouvement de cette pensée impétueuse, qui, depuis que