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nourrice, où discours est le même mot que raison. Il suivait donc discours après discours, et ne s’arrêtait qu’en ce point de résistance où le discours se nie lui-même. Tu dis que le tyran est bien puissant et je te crois ; tu dis qu’être puissant c’est faire ce que l’on veut, et je te crois ; tu dis qu‘un fou ne fait point ce qu’il veut, et je te crois ; tu dis qu’un homme qui galope selon ses désirs et ses colères ne fait point ce qu’il veut, et je te crois. Maintenant tu dis que le tyran, qui galope selon ses désirs et ses colères, est bien puissant, et ici je ne te crois point, mais plutôt tu ne te crois point toi-même. « C’est toi qui le diras. »

Je ne pense pas que Socrate vivant soit allé bien loin dans cette voie. Platon, en ses développements les plus hardis souvent nous laisse là, par une pieuse imitation, à ce que je crois, du silence socratique. Au reste on comparait Socrate à la torpille marine, qui engourdit ceux qui la touchent ; aussi à ces joueurs d’échecs qui bouchent le jeu. Certainement Socrate vivant n’était pas pressé de