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quinzième année. Or, ce Jeu intérieur et en partie secret, Socrate le joue au dehors et de bonne foi. Il pense comme l’autre et avec l’autre ; et cela même il l’annonce à l’autre. « C’est toi qui le diras », voilà le mot le plus étonnant de cette Maieutique, art d’accoucheur, qui tire l’idée non pas de soi mais de l’autre, l’examine, la pèse, décide enfin si elle est viable ou non. Cela fut imité souvent depuis, essayé souvent ; mais on n’a vu qu’un Socrate au monde. Celui qui interroge en vue d’instruire est toujours un homme qui sait qu’il sait, ou qui croit qu’il sait. Oui, même dans le monologue Platonicien, Socrate est plus souvent maître que disciple ; Socrate sait très bien où il va ; et le disciple, en ce dialogue que l’on peut nommer constructeur, répond toujours : « Oui, certes », ou « Comment autrement ? » Nous aurons à suivre cet aride chemin. Socrate ici revient des morts, et sait qu’il sait. Au lieu que Socrate vivant savait seulement qu’il ne savait rien. Il accordait tout ce qu’il pouvait accorder ; il se fiait au discours, prenant tout à fait au sérieux cette langue qui lui fut mère et