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eux-mêmes, à ce qu’on nous enseigne, se laissent fléchir par l’hécatombe. Il ne s’agit que d’oser. Eh bien, Socrate, nous oserons. Ce qui nous plaira, nous nous y porterons d’un mouvement assuré ; car c’est ainsi que l’on surmonte le risque, et l’ennemi devient méprisable par le mépris qu’on en a. Qu’on ne vienne donc pas nous dire de prendre garde, et que, comme nous ferons, il nous sera fait ; car c’est ce qui arrive aux faibles, c’est ce qui effraye les faibles, et nous ne nous sentons point faibles. Tu ne le voudrais point. Toi-même, Socrate, si tu trouvais bon d’entreprendre, et s’il n’y avait que le danger entre ton entreprise et toi, tu rougirais d’attendre.

Ou bien c’est qu’il y a autre chose, autre chose que des puissances, autre chose que tu connais et que tu ne dis pas. Non pas ces juges d’opinion, qui ne condamnent que les faibles, mais un juge au dedans, fort dans les forts. Un juge qui n’empêche point ; qui n’est que raison et lumière ; qu’on ne peut fléchir ; qui punit par la volonté même, par cette même volonté qui choisit à la fois l’in-