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puissants, plus encore que tous les autres hommes, doivent honorer la justice ; en sorte que l’on peut dire que, des hommes résignés et contents de peu, comme tu es, Socrate, il n’y en aura jamais trop. Mais les simples citoyens eux-mêmes gagnent beaucoup à respecter les lois, beaucoup et même tout. Que seraient les misérables hommes, si chacun devait sans cesse combattre afin de conserver ses maigres provisions ? Toujours est-il que partout nous les voyons associés, et formant des villes qui protègent les campagnes. Et quelle est la loi de toute association sinon celle-ci : « Ce que tu ne veux point subir, renonce à le faire subir aux autres ? » Et ce pacte ne pouvait pas être refusé, car deux hommes associés sont plus forts qu’un homme qui prétendrait vivre seul. En ce sens on peut dire que la justice c’est ce qui est avantageux au plus grand nombre, on peut dire aussi aux plus forts. Évidemment l’homme aurait plus d’avantage, semble-t-il, à agir comme il voudrait, suivant en tout ses appétits et ses intérêts, et saisissant tous les biens qu’il verrait à sa portée ; oui, s’il avait