Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 108 —

celle qu’il aime, et d’abord la croit telle qu’il la veut, et elle, lui. Deux esprits libres, heureux, sauvés. Il n’y a pas un mot d’amour qui ne rende ce son ; il n’y a pas une violence, un désir nu, un acte de maître, qui ne soit une offense à l’amour. Aussi n’y a-t-il point d’amour qui craigne le temps et l’âge, et qui ne surmonte les premiers signes. Cette sorte de culte, que la mort n’interrompt point, est peut-être le père de tous les cultes et de toutes les religions. L’amour terrestre va donc naturellement à l’amour céleste, par cette foi en l’esprit, qui cherche et trouve pensée en l’autre. Et au contraire, si l’union des corps ne va point à servir en commun l’esprit, du mieux que l’on sait l’entendre, c’est promptement amour rompu et querelle misérable. Ainsi chacun sait bien que tout amour est platonique, et c’est peut-être Alcibiade tombé qui le sait le mieux. D’où est venue à Platon cette gloire diffuse, qu’il partage avec les stoïques, d’avoir enrichi de son nom propre le langage commun.