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MINERVE OU DE LA SAGESSE

de jambes et de bras. Mais quelles variétés dans l’intelligence, dans le jugement, dans l’invention ! Que deux hommes développent leurs puissances, comme ont fait Platon et Aristote ; les voilà différents par leur perfection même ; et dites lequel vaut le mieux, si vous l’osez.

Osons encore bien moins tant que nous n’avons pas épuisé tous les moyens d’instruire et d’aider. Quel que soit l’homme, il faut l’appeler du plus haut nom, et ne se point lasser. On ne peut faire moins, si l’on a la moindre connaissance de ses propres faiblesses et du crédit que l’on a soi-même trouvé, sans lequel nul ne peut rien. C’est justement cela que l’Église nomme charité ; vertu difficile pour tous : mais il faut toujours surmonter les différences, d’un œil noir à un œil bleu, du blond au brun, du noir au blanc, et premièrement de soi aux autres. À quoi la générosité va tout droit ; mais l’intelligence y aide aussi, qui n’efface point les différences, et au contraire leur donne droit et charte par une observation plus attentive des conditions réelles et des structures. C’est l’abstrait souvent qui est méchant et sot.

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