Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.

XXI

CRIMES INVOLONTAIRES

Je n’irais pas jusqu’à dire que tout ce qui est énergiquement voulu est bon. Cela choque. On demandera si un crime n’est pas quelquefois énergiquement voulu. C’est pourquoi le mot de Socrate : « Nul n’est méchant volontairement » est presque toujours repoussé. Trop vive lumière peut-être. Platon comparait le bien au soleil, voulant dire qu’à y regarder tout droit on se fait mal aux yeux. Mais la lumière, indirectement, nous fait voir en leur détail les choses imparfaites. D’après cela, et dirigeant la vive lumière socratique du côté des fautes ordinaires et communes, je remarque aisément que presque tout le mal vient de ce que l’existence humaine s’abandonne au lieu de se conduire.

Dans une course d’autos, il n’est point nécessaire de vouloir déraper au tournant ; les forces mécaniques s’en chargent. Et, dans une ascension difficile, il n’est pas nécessaire que l’on veuille tomber ; cela va de soi. Boire un verre après l’autre, cela va de soi. Oublier une affaire importante, cela va de soi. Brouiller des papiers et des comptes, ne s’y plus retrouver, cela va de soi. La paresse, la négligence, en toutes affaires, cela ne vient évidemment pas de vouloir ; nul ne se dirige de ce côté-là ; nul ne

— 73 —