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MINERVE OU DE LA SAGESSE

et un petit supplice de chercher. S’il la lit du coin de l’œil par-dessus l’épaule de son voisin, il s’y jette, il est sauvé ; enfin il pense. S’il la lit sur son propre papier, ou dans son propre discours intérieur, il s’y jette encore ; il appelle cela sa pensée. Il a gagné, tout est dit. Je le compare à un homme qui creuse, et qui ne sait point se garder, ni sauter en arrière ; il laisse son outil sous le bloc, peut-être sa main, peut-être lui-même tout. Les preuves sont comme des pièges, un homme instruit est un homme en cage ; chaque connaissance ajoute un barreau. La règle de trois emprisonne le petit bonhomme, et le système emprisonne le grand homme. À la Bastille aussi, il y avait des prisons bien meublées, et des cachots vulgaires pour le menu peuple.

De quoi s’agit-il donc ? Il faut le dire. Il s’agit de l’esprit de Socrate, de l’esprit de Montaigne, de l’esprit de Descartes. Il s’agit d’une certaine manière de croire, et même le vrai, qui laisse l’esprit tout libre et tout neuf. Descartes, à des moments admirables, pèse sa propre physique, y reconnaît des suppositions, dit-il, assurément fausses, et d’autres assurément douteuses. C’est cette manière d’être assuré qui sauve l’esprit. Une belle proposition de mathématiques est vraie selon l’esprit, par l’ordre et l’enchaînement des notions ; mais, au regard de l’objet, elle n’est qu’une raisonnable préparation à penser. Le chimiste invente des atomes, et puis les décompose en atomes plus petits qui gravitent comme des planètes autour de quelque soleil ; belle machine pour penser plus avant ; belle