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L’ATTENTION INTEMPÉRANTE

l’événement demande réponse ? On conte des miracles sur le travail inconscient de l’esprit. Quelques-uns croient qu’il se fait une mise en ordre et comme une digestion des idées pendant le sommeil. J’aime mieux supposer que lorsqu’ils ont longtemps dormi, ils s’éveillent tout neufs, et, en un instant, démêlent des difficultés qui, la veille, étaient insurmontables par l’effet de la fatigue. Tout l’art est de ne point courir après l’idée dans le moment qu’elle fuit. Tout l’art est de refuser cette attention usée, cette attention qui n’est plus du premier et frais moment. Sur une statue ou un monument, il vaut mieux jeter deux ou trois éclairs d’attention qu’appuyer le regard. J’ai connu de ces regards appuyés qui quêtaient le savoir ; ils ne voient pas, parce qu’ils regardent trop.

Ceux qui ont étudié avec suite les plus faibles sons ont découvert quelque chose qu’ils ne cherchaient point. Un très faible son, et continu, est entendu comme discontinu ; l’attention bat comme le pouls ; elle se donne de petits sommeils ; elle se refuse, et puis elle saisit. Cela est vital ; cela ne fait que traduire l’exigence du corps, la même qui donne le rythme à la rame ou à la hache ou au marteau. Qui serre toujours serre mal. L’athlète véritable est celui qui se repose dans le jeu même, et qui ne ferme le poing que sur le coup.

Ce qui m’intéresse dans l’homme c’est la masse dormante ; ce que je méprise c’est l’agitation comme méthode de penser ; c’est frapper cent fois à côté avec l’espoir d’un coup juste ; mais le coup juste

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