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MINERVE OU DE LA SAGESSE

au roi des rois. Remarquez que le roi le plus puissant et le plus solidement établi fut aussi le plus soucieux peut-être de son salut. Il croyait et on croyait en lui. Il respectait et on le respectait. Je retrouve ce rapport ascendant et descendant en tous les pouvoirs forts. Le colonel veut obéissance de bon cœur, et obéit lui-même de bon cœur. D’après cette vue, tout homme amoureux du pouvoir à l’ancienne mode inclinerait à servir Dieu. Ce système se tient, d’après l’antique idée du jugement de Dieu, qui revient à dire que le plus fort, surtout dans les rencontres où il ny a point d’ambiguïté concernant la force, par exemple si Lohengrin a le pied sur la gorge de Frédéric, que le plus fort est réellement le ministre de Dieu. D’où l’acclamation et l’obéissance heureuse ; d’où la force et la justice sont ensemble, comme dit Pascal ; d’où la paix.

Un genre de paix. Je ne vois pas que les hommes de notre temps soient disposés à adorer cette paix-là. Car nous voyons force dans la victoire, et seulement force. Et si vingt canons cèdent à cent canons, cela nous paraît du même ordre qu’une pierre qui tombe. Et cette pensée est sans doute le fond de l’incrédulité. Il faudrait penser et dire, au contraire que si les vingt canons n’ont point reçu ce secours du ciel qui peut tout, c’est que la victoire des cent canons doit être tenue pour juste, en dépit de nos faibles et courtes idées sur le droit et sur le mérite. Mais qui pense ainsi ? Le plus colonel des colonels pense-t-il ainsi ? Toujours est-il que l’homme moyen de ce temps ne pense pas ainsi, ce qui s’accorde avec un profond refus

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