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LXVI

L’IDÉE ET LE FAIT

Il y a l’essence ; il y a l’existence ; ou bien, si ces vieux mots rebutent, il y a vérité selon l’esprit et vérité selon la chose ; on peut dire aussi idéal et réel, mais à la condition de dessiner l’idéal très précisément, à la manière du géomètre. D’aucune façon il n’est permis de confondre les deux. On confond les deux si l’on prend le monde pour un système raisonnable qui vérifiera nos idées. On confond les deux si, au contraire, on se moque de géométrie et de justice, et si l’on pose qu’il n’y a au monde que de l’inhumain, c’est-à-dire des forces qui sont comme elles sont, sans autre mal que faiblesse, sans autre bien que victoire. La première confusion est idéalisme ou utopie, l’autre est matérialisme ou réalisme. Est-ce seulement opposition entre ce qu’on voudrait et ce qui est ? Non, ce n’est pas assez dire, et il ne s’agit pas seulement de pieux souhaits, vainement formés. L’opposition est entre ce que l’on pense et ce qui est.

La géométrie le fait voir ; car la géométrie n’a rien à craindre d’aucune expérience. Le cercle est le cercle, et les choses qui ne sont pas rondes exactement n’ont rien à dire contre le cercle ; je pense les rayons égaux, et une suite de vérités à partir de là. Mais il est fou de chercher des choses parfaitement rondes,

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