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LA FATUITÉ RAISONNABLE

encore bien plus de rire sans aucune intention. Faute d’une discipline extérieure, il faut donc absolument s’apprendre à soi-même à garder l’immobilité des traits et l’immobilité des mains, des bras et des jambes, comme l’apprennent les militaires, sans en penser long. J’ai de bonnes raisons de croire que cette méthode directe vaut bien mieux qu’un effort sur les pensées. Par exemple, il est plus facile de s’imposer l’immobilité, ce qui endort les pensées et conduit au sommeil, que de calmer d’abord les pensées piquantes qui nous importunent comme des mouches ; car on peut dire que plus on pense aux pensées, plus on les agite. Au vrai, l’agitation n’est jamais dans les pensées, et se trouve toujours dans l’excitation nerveuse qui met en mouvement notre sang et nos gestes. Saigner vaut mieux que raisonner, et Stendhal dit très bien de son héros Fabrice : « La quantité de sang qu’il avait perdue l’avait débarrassé de la partie romanesque de son caractère ». Seulement ce calmant affaiblit, comme aussi l’opium ; et il s’agit de se posséder sans se diminuer.

Il sera bon de s’accoutumer à cette idée même que je viens de dire, et que les passionnés ne veulent point croire, c’est à savoir que l’alarme nerveuse ne dépend point des raisons, mais, qu’au contraire, les raisons de s’agiter ne font effet que par l’importun et incessant mouvement des signes. Par exemple le candidat s’épouvante du nombre des choses qu’il ignore, et finit même par croire qu’il a tout oublié ; pourtant je suis persuadé que le remède à cette alarme, à présent inutile et même nuisible, est de

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