trainte ; et s’il est considéré comme honteux de ne pas dire sa pensée, il est honteux aussi de la dire si elle n’est pas avouable. L’opinion, ou bien le tyran, veulent deux choses ensemble : « Vous ne me cacherez rien, mais vous ne direz aussi rien de blessant ». L’éducateur nous tient entre ces deux hontes, la honte de cacher et la honte de dire. Tout capitaine d’opinion, dès qu’il explore vos pensées, exige deux choses, à savoir que vous disiez ce que vous pensez, et que vous ne disiez rien qui ne soit convenable. Et il faudrait savoir si la seconde règle n’est pas la première en importance, j’entends aux yeux de ceux qui représentent naïvement la morale commune. On sait gré souvent à un homme de garder pour lui seul des pensées cyniques ou des pensées subversives que l’on soupçonne qu’il a. Bref la bienveillance et le respect des autres sont des devoirs aussi. Au reste il y a des cas, familiers à tous, où ce qui est honteux ce n’est pas de cacher une pensée, mais plutôt de l’avoir. Par exemple si je pense de mon bienfaiteur qu’il est ridicule, ou vaniteux, ou sot, l’obligation de dire cette pensée est effacée par l’obligation de la refouler ; et la faute est alors de penser ce qu’on ne veut point dire. L’enfant est continuellement pris dans ce piège à double issue, et s’échappe comme il peut ; un mensonge découvert offense, mais une faute avouée offense aussi ; l’enfant redoute les signes du blâme et de la colère, et c’est souvent par un sentiment d’amour ou de respect qu’il ajourne le moment difficile ; c’est pourquoi les mensonges d’enfant ont
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MINERVE OU DE LA SAGESSE
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