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LA CONSCIENCE

sa propre ambition, et par là toutes les puissances extérieures. Mais l’homme qui ne sait pas beaucoup, et qui s’instruit en ses rares loisirs, avec une peine incroyable, seulement pour honorer sa propre pensée, voilà celui qui mériterait le beau nom de sage. Et j’aime mieux l’erreur de celui-là que la vérité de l’autre.

Ainsi, en tous temps et en tous pays, les hommes cherchèrent la vertu, et surent toujours très bien ce qu’ils cherchaient. Exigeants et défiants là-dessus, comme des peseurs d’or. Assez contents en eux-mêmes du moindre mouvement de courage et de justice pour ne point chercher approbation. Mais occupés d’habiller décemment leurs fautes. Et tous de même. Un romancier a remarqué que le même homme peut se vanter impudemment de services qu’il n’a pas rendus, et se montrer discret sur un service réel et gratuit ; c’est qu’il est payé de sa propre générosité, sans que l’opinion s’en mêle. Ainsi la vertu se cache et l’hypocrisie se montre, ce qui donne vraisemblance à la misanthropie d’estomac. Mais ces faciles déclamations sont sans vérité et sans force. Cet enfer n’est rien ; ce sont des ombres sans consistance, qui ne pouvaient faire mieux. C’est l’amour, au contraire, qui peuple l’enfer, et c’est la lumière du paradis qui fait découvrir des corps réels et un vrai désespoir dans les cercles descendants.

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