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DU PRESTIGE

mènent fort loin, mais sont aussi très difficiles à pratiquer. Il s’agit de se priver des jeux de physionomie comme des mouvements de mains ; il va de soi que les mouvements du corps qui ne riment à rien, comme de se balancer ou tortiller, sont par eux-mêmes ridicules ; mais tout geste inutile est ridicule ; et tout mouvement du visage non voulu est ridicule. Imitez quelque belle statue. Le général Pétain avait, et a sans doute encore, un prestige miraculeux qu’un observateur expliquait par l’immobilité des traits. Remarquez que cette précaution est toujours bonne ; car vous restez libre d’exprimer, si vous voulez, la bienveillance ou le mécontentement. Un sourire est beau sur un visage tranquille ; mais le sourire perpétuel est niais.

Ces règles s’appliquent au langage. De même qu’il faut éviter les tics du front, du nez et de la bouche, il importe aussi de surveiller les expressions mécaniques qui reviennent hors de propos. L’homme qui ponctue toutes ses phrases de « n’est-ce pas ? » n’aura jamais aucun prestige. J’ai connu un monsieur qui voulait faire l’important, et qu’on aurait pu surnommer Monsieur Quoi qu’il en soit. Un autre disait : « Alors par conséquent » comme on respire. On voit qu’il y a dans le prestige, non seulement une politesse, mais aussi la vertu de se posséder, qui n’est pas petite. Ces choses dites, j’ajoute que le prestige n’est qu’un petit moyen, et que l’autorité véritable vient d’autre source, par exemple de raison, de justice, et de cette profonde amitié qui est charité.

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