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CHAPITRE XXXI

DE L’HISTOIRE

Qui écrira l’histoire réelle de cette guerre ? Mais premièrement le témoignage des officiers doit être rejeté, car ils n’ont vu que leur pouvoir. Et de plus il faudrait trop deviner, car presque tous les documents sont faux, et volontairement faux ; il faudrait donc exposer seulement les résultats qui sont de notoriété, et les rattacher directement à des causes supposées, mais d’ailleurs systématiquement niées. Ce ne serait qu’un pamphlet, et trop facile à réfuter ; sans compter que l’auteur de cette histoire réelle devant être étranger au monde militaire et académique, serait méprisé et même ignoré. Il vaut donc mieux s’en tenir à l’analyse des causes, d’après l’observation de la commune nature humaine, contre quoi les faits ne peuvent être allégués, puisqu’il s’agit de les expliquer tous, quels qu’ils soient. Et le fait tout nu ne décide rien ; par exemple des hommes courent ; mais s’ils fuient ou s’ils attaquent, c’est ce que le fait ne dit point. C’est pourquoi, au lieu d’essayer de prouver, je propose. Et que chacun, de bonne foi, lise les faits d’après cela.

Le trait dominant chez les chefs, autant que j’ai pu voir, c’est la paresse, fruit du pouvoir absolu. Faire travailler les autres, faire surveiller le travail, faire juger les surveillants et même le travail fait, tel est le métier de chef. Par exemple celui qui ordonne de creuser un abri, en tel lieu, ne saura jamais qu’on a rencontré du roc et usé des pioches ; il n’y pense même point. Et cette méthode, qui rend ingénieux, patient et obstiné celui qui exécute, produit les effets contraires en celui qui ordonne, car il ne s’exerce jamais contre le roc, ni contre l’eau ; il s’exerce seulement contre l’homme ; mais, par l’institution militaire, la discussion n’étant pas permise, et la révolte étant punie de mort, il n’y a point de vraie résistance ; le moyen est simple et toujours le même ; aussi fait-il des esprits enfants. Ainsi la volonté, l’esprit d’observation