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d’académiciens : « Cette jeunesse était lâche ; cette autre jeunesse vaut mieux. » Songez aussi à cette littérature académicienne, qui, par des injures suivies à l’ennemi, allait à la même fin. Songez aux violences de la rue, et à ce chantage organisé par les royalistes. Cette vague de guerre a passé sur vous, vous entraînant, vous portant vers la catastrophe. Et vous en étiez toujours, vous en êtes peut-être encore à chercher quelque tribunal arbitral qui réglerait les différends entre nations. Mais comprenez donc que nul ne se battrait pour un différend entre nations, au lieu que n’importe quel homme se battra pour prouver qu’il n’est pas un lâche.

J’ai senti cette effervescence, cette espèce de panique, cette farouche détermination des jeunes qui disaient : « Eh bien, qu’on en finisse ; mourons pour les Académiciens. » L’un de ces jeunes, qui a eu la chance d’être tué dans les premiers combats, me disait avec cette force tranquille que j’aimais : « Laissez donc ; cela nous regarde ; ce n’est pas à vous que l’on demande de mourir. »

Faites attention à ce danger-là. Essayez de voir cet honneur fouetté et galopant, et de quel air sont reçus les plats conseils sur les arrangements possibles, les formules diplomatiques, l’incertitude des armes, les ruines, les morts, les deuils ; de quel air est accueillie cette Sagesse trop claire et qui parle si bien à côté, par l’homme qui offre enfin sa vie et qui ne pense qu’à bien mourir. Dans le parti des braves, aussi, on trouve de ces sourds et muets pour la Raison, dès que l’honneur parle. Jugez maintenant selon leur vraie puissance ces déclamations sur la décadence et sur la renaissance, sur les Asmus, gros mangeurs de choucroute, et autres plaisanteries homicides ; et si vous n’avez pas été indulgent à ces choses, dormez en paix.