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CHAPITRE XXIII

COMMENT ON FOUETTE LES PASSIONS

Toute la presse nous a fait vingt fois le tableau des intérêts et des revendications d’une nation à l’autre. Et les brochures pacifistes, ou irénocrates, ou quelle que soit l’étiquette, recherchent une solution juridique de ces conflits, chose qui ne peut manquer d’intervenir si les intérêts jouent seuls. Méditez sur ce mot d’un avocat : « Les intérêts transigent toujours ; les passions ne transigent jamais. » On peut vivre en paix vingt ans et plus, dans ces conflits d’intérêts, comme l’expérience l’a fait voir ; on peut donc y vivre toujours ; tout se tasse ; tout s’arrange. Il ne faut pas espérer ici une espèce de code qui aurait tout prévu. Il y a des procès, et ruineux pour tous, non par l’insuffisance du code, mais par les passions ; et il y a d’heureux arrangements, plus avantageux que les procès, dès que les intérêts jouent seuls. Détournez donc votre regard de ce vain étalage juridique, dangereux surtout par la fausse sécurité qu’il vous donnerait. Guettez les passions qui naissent, et que les tyrans conduisent si bien.

Un exemple. Vous lisez partout que ce peuple a fait voir une étonnante résurrection après une longue décadence. Vous acceptez l’idée sans examen ; ou bien vous pensez que ce n’est qu’un lieu commun sans importance. Vous ne saisissez pas l’effet de cette injure suivie à ces jeunesses qui grandirent en essayant de juger. Les petits et grands tyrans se virent détrônés après la célèbre affaire Dreyfus, dont tous aperçoivent maintenant l’immense portée. Vous n’avez pas discerné non plus, quand les tyrans reprirent peu à peu le pouvoir, cet éloge aux jeunes, et cette invitation à mourir ? Je me suis opposé tant que j’ai pu, par l’écrit et par la parole, à ces jugements redoutables, qui semblaient à presque tous un indice de ces oscillations communes dans l’histoire des peuples, et dont on aime à dire que les causes sont inconnues. Pour moi j’ai toujours vu clair dans ces discours d’officiers et