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vrai que la Servitude Rusée corrompt le jugement, et c’est par ce détour que le Maître est quelquefois aimé. Mais, en revanche, quand le sacrifice est volontaire, comme il est en ce drame, et sans aucune prudence, ni aucun mensonge à soi, lorsqu’enfin l’on n’est tenu que par son propre serment, joint à la difficulté même de la chose, qui interdit toute pensée de traverse, il me semble que la force pensante est bien placée pour juger souverainement. Quand l’œuvre est achevée, le Dieu est bien petit.

Par ces chemins je revenais à la guerre, mais sans m’y reconnaître, jusqu’au temps de la paix, où, au lieu des vengeances espérées et redoutées, je trouvai des vainqueurs établis dans un Mépris inflexible, et qui disaient non à la gloire, et non au Dieu satisfait. Ce silence des survivants étonnera plus d’un prêtre naïf. Cet autre culte verra de froides cérémonies ; les discours sonneront mal en présence de ceux qu’ils veulent honorer ; mais que dis-je là ? Ils n’y seront point. Ce refus étonne les hommes d’âge, sans les instruire. Là-dessus je n’ai pas d’espérance. Mais les jeunes interrogent du regard ; ils essaient de deviner ; c’est pour eux que j’écris ces pages. Le regard muet n’est point pour eux ; ils ne l’ont point mérité.