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droit n’existe nullement entre le vainqueur et le vaincu, mais seulement un ordre de force, qui changera avec les forces. Il faut toujours que le droit soit reconnu, volontairement et librement reconnu. Dans les cas difficiles, il faut que la sentence de l’arbitre soit acceptée d’avance par les deux ; tel est l’ordre du droit. Être possesseur d’un bien, c’est le tenir et le garder ; en être propriétaire, c’est jouir d’un droit reconnu, publiquement reconnu, reconnu de tous. Réparer, expier, c’est reconnaître qu’on doit expier ou réparer, et s’en rapporter à l’arbitre.

C’est d’après ces principes qu’il faut examiner le prétendu Droit du plus fort. Considérons surtout avec attention le cas où celui qui croit avoir droit veut imposer ce droit par la force, et y parvient. Il est clair que cet établissement de force ne crée aucun ordre de droit entre le vainqueur et le vaincu. Comme Jean-Jacques l’a montré dans un célèbre chapitre du Contrat Social, chapitre court mais bien profond, l’obligation d’obéir au plus fort n’est nullement d’ordre moral ; ce n’est qu’un fait ; elle cesse dès que le plus fort cesse d’être le plus fort ; et, tant que le plus fort est le plus fort, cela va de soi qu’on le veuille ou non. Si vous frappez, vous aurez un ordre de force, et toute promesse est nulle ; si vous voulez un ordre de droit, il faut plaider, non frapper. Discuter, concéder, persuader. Tel est le prix de la Paix, et ce n’est pas trop cher. Mais jamais la Guerre n’établit la Paix. Je n’ignore point qu’il est difficile de faire la paix ; je dis seulement que les moyens de force n’approchent point de la paix, mais au contraire en éloignent. Je ne veux ici que rétablir le sens des mots ; n’appelez point paix ce qui est guerre.